Pierre Bézoukhov vient de sortir de chez les Rostov, chez qui il a rencontré Natacha. La jeune fille, qui a tenté de s'enfuir avec Anatole Kouraguine alors qu'elle s'était engagée à attendre le retour du prince André pour l'épouser, s'en veut terriblement de l'avoir blessé. Elle confie sa détresse à Pierre, que son témoignage bouleverse. Dans un bref dialogue, il lui confie qu'elle a encore toute la vie devant elle et qu'elle est digne d'amour. Natacha, pleurant pour la première fois depuis longtemps des larmes "de gratitude et d'attendrissement", le quitte, et Pierre sort de chez les Rostov.
"Où faut-il aller maintenant ?", demanda le cocher.
"Où ? se demanda Pierre. Où donc peut-on aller maintenant ? Est-il possible que ce soit au club ou faire une visite ?" Les hommes lui paraissaient tous si piteux, si misérables, en comparaison de ce sentiment de tendresse et d'amour qu'il éprouvait, de ce dernier regard adouci, reconnaissant qu'elle lui avait accordé à travers ses larmes.
"A la maison", dit-il et, malgré le froid de dix degrés, il écarta sa pelisse d'ours sur sa large poitrine qui respirait joyeusement.
Il faisait beau et froid. Au-dessus des rues sales et à demi obscures s'étendait un ciel sombre, constellé d'étoiles. Ce n'est qu'en regardant ce ciel que Pierre ne sentait pas l'humiliante bassesse des choses terrestres en comparaison des hauteurs où planait son âme. Comme il débouchait sur la place de l'Arbate, un immense espace de sombre ciel étoilé se découvrit à ses yeux. Presque au milieu de ce ciel, au-dessus du boulevard Pretchistenski, entourée de toutes parts et sertie d'étoiles mais se distinguant de toutes par sa plus grande proximité de la terre, sa lumière blanche et sa longue chevelure relevée du bout, apparaissait l'énorme et éclatante comète de 1812, cette même comète qui, disait-on, annonçait tant d'horreurs et la fin du monde. Mais cette claire étoile à la longue chevelure lumineuse n'éveillait chez Pierre aucune sensation de peur. Au contraire, il regardait avec joie de ses yeux mouillés de larmes cet astre éclatant qui, après avoir parcouru d'incommensurables espaces à une vitesse infinie suivant une ligne parabolique, semblait s'être soudain, comme une flèche qui s'enfonce dans la terre, planté à la place qu'il avait choisie dans le ciel noir et être resté là, la chevelure dressée, faisant jouer et briller sa lumière blanche parmi d'innombrables étoiles scintillantes. Il semblait à Pierre que cet astre était en harmonie parfaite avec ce qui emplissait son âme épanouie à une vie nouvelle, attendrie et réconfortée.
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